Vendredi 23 novembre avaient lieu à la Friche Belle de Mai à
Marseille Les Écrits du
numériques, organisés par Alphabetville avec La Marelle villa des auteurs. Une journée
de débats sur la création littéraire numérique. Je n’ai pas assisté à la
matinée consacrée à la présentation de créations et de projets d’auteurs, mais
j’avais entendu Pierre Ménard et Anne Savelli mercredi
soir dans ce même studio évoquer leur projet d’écriture en commun : Laisse Venir (émission À l’air livre).
Alors je ne prétends pas faire un compte-rendu complet de cette journée, juste
rapporter les idées fortes entendues.
Le projet « Laisse venir »
Laisse venir est
un texte qui est aujourd’hui fini, il a commencé à prendre forme en mai dernier
lors de la venue des auteurs à la Friche pendant les « 48 heures
Chrono » (qui marqua le début de la résidence d’Anne Savelli à la
Marelle). L’idée, venue de Pierre Ménard, lui a été inspirée par la lecture du
livre de Julio Cortazar Les
Autonautes de la cosmoroute, ou un voyage intemporel Paris-Marseille. Laisse venir est le récit d’un
trajet Paris-Marseille, d’abord virtuel, comportant dix étapes liées à des
lieux d’enfance ou à l’histoire personnelle de chacun. Deux parcours fictifs
donc, avec des textes et des images de Google Street View associés aux lieux
choisis. Puis le voyage a été « éprouvé » réellement dans un train.
Un processus d’écriture complexe : plusieurs voix, divers modes
d’expression (texte et image), plusieurs niveaux de réalité, plusieurs médias (Twitter,
les blogs et sites des auteurs et bientôt un livre numérique), plusieurs
temporalités (évolution de la simultanéité de l’expérience vécue et de l’écriture
à un travail éditorial pour une créer une œuvre finie). Une création littéraire
numérique « multidimensionnelle » comme on pourrait se risquer à la
qualifier, peut-être la plus à même de transcrire ce que Pierre Ménard appelle
« les interstices » de la vie, et de cerner au mieux la complexité
cachée du quotidien.
Le statut d’auteur dans la création numérique
Pour en revenir aux Écrits du numérique, vendredi 23
beaucoup de questions ont tourné autour du statut d’auteur. Bertrand Duplat est
intervenu pour parler des éditions
Volumiques (qu’il a cofondées), qu’il définit lui-même comme un
« laboratoire d’idées autour du digital et du tangible » et qui
fabrique des livres et des jeux vidéos, certains restant des
prototypes-manifestes et d’autres devenant des technologies licenciées adoptées
par des éditeurs. La marque de fabrique des éditions est d’introduire dans les
médias d’origine, en papier, de la technologie informatique, ainsi que les
principes du jeu comme l’interactivité, des contraintes comme un temps limité
pour lire le livre, les choix multiples de progression, le dépliage, etc. Le
statut d’auteur est visiblement beaucoup moins prégnant dans ce domaine que
dans l’édition littéraire, car une multiplicité d’acteurs intervient sur un
projet, d’où l’appellation de « plateforme éditoriale » plus proche
de la réalité du travail collaboratif.
Publie.net, une coopérative d’auteurs
Puis, Pierre Ménard a présenté les éditions numériques Publie.net, coopérative d’auteurs créée en 2008
par le charismatique François Bon, dédiée à la création littéraire
contemporaine et à la réédition de textes classiques indisponibles. Depuis, le
catalogue s’est étoffé : de nombreux collections et genres représentés,
600 titres en tout, la revue D’Ici là
et des ebooks multimédias alliant son, image et texte ou proposant des
scénarios de lecture à choix multiples ou aléatoires fabriqués en collaboration
avec des graphistes et des développeurs. À la base du projet, des parti pris
tels que la rémunération de l’auteur à 50 % du prix de vente du texte, des
prix d’achat bas identiques à ceux des applications. Depuis peu, Publie.net
propose également 50 titres à l’impression papier pour les réfractaires du
numérique, à commander chez son libraire, imprimés à la demande par Hachette
pour le compte de Publie.net (nécessitant un nouveau travail de mise en page
adapté à l’imprimerie). Une belle aventure collective qui peine pourtant à
subsister et qui a besoin de soutien (via les abonnements annuels).
Les métiers perméables du maelstrom numérique
La journée se termine par une table ronde réunissant Loïc Sander (graphiste et
typographe), Pierre Ménard, Anne Savelli, Bertrand Duplat, Cécile Portier (auteure),
Colette Tron (Alphabetville) et Emmanuel Guez (artiste
et théoricien du numérique). Ce dernier a écouté tout le monde et est parvenu à
quelques conclusions (qui sont en fait des ouvertures) fort
intéressantes : les auteurs présents ne maîtrisent pas forcément le
langage informatique du code, mais malgré ça ils se laissent entraîner par les
potentialités des outils et des médias, c’est le point commun de leur pratique
artistique numérique. Il ajoute qu’avec le numérique, les images, les sons et
les textes ont ce même socle de langage commun qu’est le codage. Si la création
numérique implique des métiers différents, ils sont pourtant mélangés dans la
collaboration, non hiérarchisés et perméables. L’écrivain et le technicien
travaillent dans une dynamique horizontale, dans ce « maelstrom » où
chacun se laisse entraîner. Loïc Sander a pu témoigner sur cette question du
mélange des compétences et de l’évolution permanente de la forme du texte
numérique, qui d’après lui n’en est qu’à ses prémisses.
En conclusion, quand on parle de révolution numérique, on
n’imagine pas forcément toutes les implications qu’elle sous-tend. La preuve
est faite qu’elle a en tout cas bouleversé la place de l’auteur au sein du
processus de création.
(Novembre 2012)
(Novembre 2012)