Je ne sais pas pourquoi je nourris toujours tant d’espoirs à
l’idée de visionner un film sur Kerouac et la Beat Generation. Comme si les
images allaient me plonger dans le monde de ces écrivains de manière encore
plus immédiate que leurs textes. Or, avec ce nouveau film documentaire de Jean-Jacques Lebel & Xavier Villetard, il n’en
est rien. J’avais aussi été déçue l’année dernière en voyant Sur la route, le film de Walter Salles,
trop linéaire, trop chronologique, trop biographique. Avec celui-ci, je
m’attendais secrètement à revivre une expérience aussi riche que celle proposée
par When you’re strange de
Tom Dicello, ce super film documentaire sur les Doors, sorti en 2009.
Le film de Lebel et Villetard est intéressant car très
documenté. Il s’articule autour de la correspondance entretenue par Jack
Kerouac, Allen Ginsberg et William Burroughs, les trois auteurs phares de la
Beat Generation, le mouvement littéraire américain de la contre-culture qui
émergea dans les années 50. Les lettres lues sont le fond sonore d’un montage
où s’alternent des archives photos et vidéos, des images représentant
l’Amérique, Tanger ou Paris pendant les années 50-60. Le film est construit
autour des aventures éditoriales de ce que les réalisateurs appellent les trois
« bombes » de la Beat Generation : Sur La Route de Kerouac, Howl de Ginsberg et Le
Festin nu de Burroughs. Ainsi, Lebel et Villetard choisissent d’évoquer
davantage les questions éditoriales (liées à la censure) que
littéraires. Une autre particularité du film est qu’il décentre l’activité des
écrivains hors des États-Unis, en Europe et au Maroc, et notamment à Paris au
fameux « beat hotel » du quartier latin. Enfin, il axe son propos sur
le retentissement sociétal et politique des textes.
Que découvre-t-on dans ce film ? Des dessins et
peintures de Kerouac. Des faits biographiques : notamment que Kerouac et
Ginsberg sont allés rendre visite à Céline, que Ginsberg et Burroughs
rencontrèrent Jean Genet et Marcel Duchamp, que Mexico City Blues, le recueil de poésie de Kerouac, fut le livre
qui donna envie à Bob Dylan d’écrire, que Le Festin nu fut d’abord édité en France. Il y a une chose qui
reste floue en revanche, c’est le rôle tenu par Jean-Jacques Lebel dans cette
aventure éditoriale européenne (modestie de l’auteur du film ?). Les
cinéastes évoquent donc surtout la vie des auteurs de la Beat
Generation, et c'est vrai qu'elle fut romanesque… Mais
est-ce l'angle le plus pertinent pour saisir leurs
œuvres, car ces dernières sont tout sauf linéaires. Burroughs a inventé la
technique du cut-up, Howl de Ginsberg est un long poème, et la voix
de Kerouac s’incarna dans un phrasé unique influencé par le jazz…
Ma principale déception porte sur la maigreur du contenu lié
à l’œuvre de Kerouac. Probablement car ses textes sont tellement plus complexes
et riches que ce que ses réactions à leurs parutions ou des éléments
biographiques peuvent en livrer. Dans le film, rien n’est dit sur le grand
souffle épique et mystique qui anime Sur
La Route, surement car il est lié à un territoire, au récit de la
« nuit américaine », et en cela éloigné du parcours européen évoqué
dans le film. Peut-être aussi car avant d’être une figure intellectuelle, il
fut d’abord un romancier et un poète.
En conclusion, le film ne manque pas d’intérêt du point de
vue l’histoire littéraire : on comprend mieux la genèse de ce mouvement et
l'aventure éditoriale qui y concourut. Mais il ne parvient pas vraiment à
immerger le spectateur dans l’œuvre des écrivains de la Beat Generation et à en
dévoiler la puissance poétique ou les motivations profondes.
>>> À lire sur le blog, ce billet à propos de Sur La
Route, le rouleau original de Jack Kerouac.