Je connaissais la bande dessinée de Bastien
vivès, ce virtuose, mais pas celle du collègue avec qui il a
réalisé la série Pour L’Empire, Merwan Chabane. En revanche, j’avais déjà
pu admirer dans Pablo les
talents de coloriste de Sandra Desmazières. Autant vous dire que graphiquement,
ces trois tomes sont très réussis.
Une escouade romaine à la conquête de terres inconnues
Pour L’Empire (éditions
du Poisson Pilote) raconte l’histoire d’une escouade de l’Empire
romain chargée par l’empereur d’aller conquérir de nouveaux mondes. Animée par
une soif de combats et de gloire, elle pénètre donc petit à petit dans les
terres inconnues. Dans le premier tome, L’Honneur, les hommes
sont confrontés à l’inaction et à l’ennui, si bien que l’insubordination et le
doute commencent à s’immiscer dans les rangs de l’escouade. Devant eux fuit un
peuple d’« hommes sans honneur » (entendez qui n’attaquent pas
frontalement la légion romaine, mais pratique plutôt une guerre d’embuscade).
Dans le second tome, Les Femmes, le groupe va se retrouver
confronté à une cité fortifiée uniquement composée de femmes. Le combat avec ce
peuple d’amazones sera sans pitié. Enfin, dans le dernier tome, La
Fortune, l’escouade pénètre enfin le Nouveau Monde et tente d’en découvrir les
nombreux mystères.
Un parcours initiatique collectif
À première vue, Pour L’Empire raconte une histoire
de colons arrogants confrontés à des peuples indigènes qu’ils tentent de
conquérir au même titre que les terres sur lesquelles ils habitent. Ils avancent
en soldats brutaux, convaincus de leur bon droit. Heureusement, dans le
troisième tome, plus fantasmagorique, les choses se complexifient. Y
interviennent des entités maléfiques contre lesquelles les soldats demeurent
impuissants. Puis, les paysages semblent se modeler sur leurs états d’âme, leur
désarroi, et le Nouveau Monde finit par ressembler à un mirage au milieu duquel
les hommes se seraient perdus. L’épopée tourne à la quête
métaphysique, au parcours initiatique. Un revirement de situation
intéressant, donc.
Hiatus
Pourtant demeure un hiatus un peu dérangeant entre
la réflexion menée sur le dépouillement progressif de l’homme brutal, sur sa
confrontation avec l’absurdité de la conquête coloniale, et
l'attrait qu'exercent sur les auteurs la figure du soldat et les
valeurs qu’il défend : l’obéissance, la virilité, la force physique,
la violence... Vivès et Merwan arguent qu’ils ont choisi pour cadre l’Empire
romain car ils étaient attirés graphiquement par cet univers-là. Mais
certains choix scénaristiques posent question : pourquoi les hommes
pratiquant la guérilla seraient-ils moins honorables que les hommes
équipés et entraînés de l’armée de l’Empire ? Pourquoi les femmes
sont-elles dépourvues d’empathie et de parole ? À titre personnel, tout
ceci me laisse un peu perplexe sur le sens de ce que j’ai lu. Dommage, parce
que graphiquement, Pour l’Empire est effectivement — et sans surprise
— très réussi.