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Umami, Laïa Jufresa

Umami de l'écrivaine mexicaine Laïa Jufresa fait partie de ces livres qu’on n’a pas envie de finir, tant ses personnages sont attachants. Ce livre, je savais depuis un moment que je le lirais, car je suis l’actualité de son auteure sur les réseaux sociaux. Alors quand je suis tombée sur l’édition de poche d’Umami en librairie, je n’ai pas hésité.

Les voisins de la Cour Cloche-en-terre

Ce roman choral raconte cinq années de la vie d’une petite communauté de voisins réunis autour de la Cour Cloche-en-terre, dans la ville de Mexico (chaque maison y porte le nom d'un des cinq goûts : acide, amère, salé, sucré, umami). Parmi les voisins, Ana, 13 ans, qui ayant réussi à convaincre ses parents de la laisser cultiver une milpa (système de culture écologique associant le maïs, la courge et le maïs) y consacre son été. Elle est aidée par son amie Pina, qui vit seule avec son père depuis que sa mère les a quittés. Il y a aussi Marina, étudiante aux Beaux Arts, une jeune femme anorexique venue de province, entre autres pour échapper à son père colérique. Une autre voix importante dans ce récit est celle d’Alfonso Sémitiel, un anthropologue expert de l’alimentation précolombienne (et de l'umami !) qui loge tout ce petit monde, et qui tente de se consoler de la mort précoce de sa femme en écrivant sur elle. Enfin, le personnage de la petite sœur d’Ana, Luz, 6 ans, dont la disparition tragique a laissé dans son sillage un abîme de tristesse.

Mortels mais humains

La peinture que Laïa Jufresa fait de cette petite communauté est profondément touchante. La vie des personnages est ponctuée de petits événements disant de quel fil est tissée la trame qui les unit. Car au-delà de la simple contingence d’être là ensemble, réunis par le hasard et la nécessité d’être logés, les personnages ont tissé des relations étroites, et c’est cette humanité qui nous est donnée à lire. Au sein de ce petit microcosme, on cultive son jardin, on écrit, on joue de la musique, on peint. Certes, il y a les déceptions et les petites trahisons, mais il y a surtout de l’entraide, de l’attention et de l’amitié. On se prête des outils, on se tient compagnie, on se console, on se rend des services, on transmet. Bref, on essaye de dépasser sa condition de mortel et de s'attacher à ce qui donne du goût à la vie.

Ingénierie romanesque

Qui dit roman choral dit pluralité de voix et de narrateurs... Dans Umami, on entend tour à tour la voix de l’enfance (Luz et ses mondes imaginaires), celle de l’adolescence (Ana et Pina : leurs contrariétés, leur malice), la voix rebelle de la jeunesse (Marina et sa défiance à l’égard de ses aînés) et celle — plus sage quoique sans concession — de la vieillesse (Alfonso revenant sur ses années de mariage). Le procédé narratif choisi par Laïa Jufresa est réjouissant, car tellement ingénieux ! Dans chacune des quatre parties, on trouve cinq chapitres consacrés chacun à une année (2004 vue par Ana, 2003 vue par Marina, etc.). Une construction à même de révéler la complexité des relations entre les personnages, les interdépendances, comment ils vivent entre eux : les pensées de chacun, celle qui sont attribuées aux autres ; comment on compose avec ce qui est su par tous, ce qu’on sait intuitivement, ce qu’on croit deviner alors qu’on se trompe, etc. Un véritable enchevêtrement de liens... et en filigrane la beauté de ce fragile « édifice » qui transparaît au fil des pages.

Un grand plaisir de lecture !

Extrait

Il y a deux jours, en première page du document Word, j'ai fait une couverture. J'ai écrit en caractères immenses au milieu de la page : Noelia. Puis j'ai ajouté ses noms de famille avant de tout effacer ; si son nom était assez pour dire ce qu'elle était, je n'aurais pas besoin de ces pages. Alors j'ai écrit : Umami. C'est un peu stupide parce que j'ai déjà écrit un livre de pure théorie culinario-anthropologique qui s'appelle comme ça. Mais j'ai envie de le garder tel quel parce que, Umami, c'est le titre idéal. Tenter de dire qui était ma femme est aussi indispensable qu'impossible à expliquer, comme l'umami, ce goût imprégnant les papilles sans pour autant se laisser saisir, naviguant tranquille entre le salé et sucré, tantôt comme ci, tantôt comme ça. Aussi complexe que net et précis, comme l'était Noe, familière mais imprévisible ; d'ailleurs, je n'ai jamais totalement compris Noelia Vargas Vargas. Voilà peut-être pourquoi je ne me suis jamais lassé d'elle. Peut-être que c'est uniquement ça l'amour. Ou l'écriture. S'efforcer de mettre quelqu'un en mots tout en sachant qu'il restera pour les autres un kaléidoscope : ses milles reflets dans l'œil d'une mouche.

Auteur : Laïa Jufresa
Traduction : Margot Nguyen Béraud
Éditions : Buchet Chastel, 2016/Folio, 2017