Dans La Dune (éditions La Dernière Goutte, 2016),
l’écrivain Matías Crowder raconte une histoire nimbée de rêve et de
surnaturel, mais il la situe dans un contexte historique précis : les
années qui suivirent la Campagne du Désert (1879-1881) initiée par le
gouvernement argentin pour s’approprier les terres des Indiens. L’ultime étape
de cette guerre ayant été la tentative d’extermination de ces populations
précolombiennes et l’installation des colons (les huincas, des anciens
soldats reconvertis en paysans). Dans le roman, ces événements historiques sont
racontés tour à tour par différents personnages : Benjamín Coto, le prêtre
du village de Trenque Lauquen où se situe l’action ; Sabino, jeune indien
déporté ; Nora, fille de huincas ; Abelardo Renzi, un berger cruel et
stupide.
Le roman débute donc en 1887 alors qu’une dune de sable
avance inexorablement sur les terres des colons, dévastant tout sur son passage.
Ces derniers interprètent le fléau comme un châtiment divin. La dune est
pourtant déjà apparue par le passé, comme le raconte un vieux chef indien à son
peuple déporté : « la dune revient régulièrement nous rappeler notre
condition. » Mais dans ce monde brutal et cruel, face à l’incertitude, le
besoin de divin est partout, et chacun projette sur le phénomène ses peurs et
sa culpabilité. Un besoin symptomatique de ce temps d’après la
guerre que raconte Matías Crowder, où les exactions sont dans
toutes les mémoires, et où les hommes oscillent encore entre peur,
désir de vengeance et nécessité de se réconcilier.
Un très beau roman, superbement traduit, avec des mises
en abîme agiles faisant du récit une sorte de kaléidoscope dans lequel se
refléterait le passé, dans toute sa complexité, avec ses faits historiques et
ses légendes.